dimanche 3 juin 2012

Jésus était-il gay ?


Jésus était-il gay ? Réflexions d’un prêtre anglican

24.04.2012|The Guardian
Le sermon du vendredi saint sur les dernières paroles du Christ avant sa mort est un exercice spirituel de haut vol. Cette tradition, qui remonte aux jésuites, a été adoptée par de nombreuses Eglises anglicanes. Ayant eu récemment le privilège de prononcer ce prêche à Wellington, en Nouvelle-Zélande, j’ai choisi la souffrance comme thème. Conscient des profondes divisions de l’Eglise en matière d’identité sexuelle et de sexualité, je me suis senti tenu de parler des souffrances qu’elle a infligées aux homosexuels au cours des siècles. Ce sujet délicat était-il approprié pour un vendredi saint ? Pour la première fois de mon sacerdoce, il s’est imposé à moi avec force. Les dernières paroles de Jésus ne me laissaient pas le choix : “Jésus, voyant sa mère, et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : ‘Femme, voilà ton fils.’ Puis il dit au disciple : ‘Voilà ta mère.’ Et, dès ce moment, le disciple la prit chez lui.” (Jean 19,26)

Ce disciple était Jean, “celui que Jésus aimait”, selon l’Evangile. Tous les autres avaient pris la fuite. Trois femmes et un seul homme ont eu le courage de se rendre au pied de la croix. Cet homme occupait manifestement une place particulière dans le cœur de Jésus. Dans toutes les représentations de la Cène, l’un des sujets favoris de l’art chrétien, Jean est assis au côté de Jésus, sa tête reposant souvent sur le torse de celui-ci. A l’agonie, Jésus a demandé à Jean de prendre soin de sa mère et à celle-ci d’accepter Jean comme son propre fils, l’intégrant ainsi de fait dans sa propre famille. Jésus était un rabbin célibataire, chose plutôt rare à cette époque. L’idée qu’il avait une relation amoureuse avec Marie-Madeleine ne repose sur aucune preuve biblique. La thèse selon laquelle il était homosexuel paraît beaucoup plus fondée. Cependant, au sein de l’Eglise, même les militants pour les droits des homosexuels la rejettent. Hugh Montefiore, évêque de Birmingham, issu d’une famille juive en vue, osa suggérer cette possibilité, mais ses propos furent accueillis avec mépris, comme s’il les avait tenus par pure provocation.

Après avoir moi-même beaucoup réfléchi à la question, je me suis senti obligé, pour la première fois depuis le début de mon sacerdoce, il y a un demi-siècle, d’exprimer l’idée que Jésus était peut-être bien homosexuel. S’il avait été dépourvu de sexualité, il n’aurait pas été vraiment humain – ce qu’il serait hérétique de penser.

Jésus pouvait être aussi bien hétérosexuel que bisexuel ou homosexuel. Impossible de le ranger avec certitude dans une catégorie. L’option homosexuelle semble simplement la plus vraisemblable. Sa relation intime avec le disciple bien-aimé tend à le prouver. C’est ainsi, en tout cas, qu’on l’interpréterait chez n’importe qui aujourd’hui. Même s’il n’existe pas de tradition de célibat chez les rabbins, Jésus, gay ou pas, peut très bien avoir choisi de vivre dans la chasteté. Cependant, même si de nombreux chrétiens sont enclins à souscrire à cette thèse, je ne vois aucune nécessité théologique de le faire. L’expression physique d’un amour fidèle est un acte pieux. Soutenir le contraire serait verser dans le puritanisme qui a si longtemps terni la réputation de l’Eglise.

Au fond de moi, je ressentais le besoin d’exprimer tout cela le jour du vendredi saint. J’y voyais un acte de pénitence pour les souffrances et les persécutions que l’Eglise continue d’infliger aux homosexuels. Mes lecteurs seront probablement moins scandalisés que les fidèles progressistes devant lesquels j’ai prononcé mon sermon. Mais je ne suis que trop conscient du mal que mes réflexions vont causer à la plupart des chrétiens, qu’ils soient intégristes ou pas. La question cruciale pour moi est la suivante : que demande l’amour ? Pour mes détracteurs, c’est plus souvent : que disent les Ecritures ? En l’occurrence, les deux réponses pointent dans la même direction.

Que Jésus ait été homosexuel ou pas n’altère en rien ce qu’il était et ce qu’il signifie pour le monde d’aujourd’hui. Spirituellement, c’est un être immatériel. L’important, c’est que beaucoup d’adeptes du Christ – religieux et laïcs – sont des gays ou des lesbiennes, et qu’en dépit de l’Eglise ils lui restent remarquablement fidèles. Si l’Eglise chrétienne les accueillait plus librement en son sein et les aimait davantage, ces fidèles seraient encore plus nombreux.

(The Guardian,  Londres)

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