La révolution des médicaments du futur
Par Jean-Paul Behr - le 16/03/2012
Jean-Paul Behr, chimiste, membre de l'académie des sciences
fait le point sur la chimie de formulation, qui permettra des avancées majeures
en terme de santé.
La chimie des petits ARN interférents (siRNA en anglais, est
aujourd'hui au point : ils sont jusqu'à 100 fois plus stables dans
l'organisme que leur version naturelle et il est possible d'en synthétiser de
grandes quantités.
Il est des Nobel plus nobles que d'autres. Celui de médecine 2006, décerné à
Andrew Fire et Craig Mello, a secoué les fondations de la biologie. Leurs
travaux ont révélé qu'une grande partie de notre ADN est en fait copiée en de
petites molécules d'ARN (acide ribonucléique) fugaces qui harmonisent toutes
les étapes du fonctionnement d'une cellule, depuis l'embryogénèse jusqu'à la
mort: l'ARN interférence. Cette découverte majeure, qui ouvre la perspective
d'agir sur n'importe quelle voie métabolique soulève d'immenses espoirs pour la
recherche biomédicale.
Le premier défi qui se présentait aux chimistes consistait à prolonger la
survie de cette molécule intrinsèquement instable dans l'organisme afin qu'elle
puisse jouer son rôle de médicament. Pour cela, ils ont commencé par
«verrouiller» les atomes d'oxygène de l'ARN responsables de sa grande
fragilité. Puis ils ont protégé ses extrémités afin de ralentir son excrétion
par les reins.
La chimie des petits ARN interférents (siRNA en anglais, pour small
interfering RNA) est aujourd'hui au point: ils sont jusqu'à 100 fois plus
stables dans l'organisme que leur version naturelle et il est possible d'en
synthétiser de grandes quantités. Plusieurs entreprises conduisent des essais
cliniques dans des conditions où le siRNA reste confiné dans un organe clos.
Opko et Quark par exemple ont choisi de s'attaquer à des pathologies oculaires,
comme la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA).
Mais le plus grand défi consiste à faire pénétrer ces ARN interférents dans
les cellules humaines, pratiquement imperméables à de telles molécules. Pour ce
faire, les sociétés nord-américaines Alnylam et Tekmira font appel à des
vecteurs chimiques. Ces derniers bénéficient de l'expérience acquise après deux
décennies de recherche en thérapie génique, et de quelques avantages
particuliers. Un siRNA étant cent fois plus petit qu'un gène, il est d'autant
plus facile à transporter. Il n'a pas non plus besoin d'être acheminé jusque
dans le noyau cellulaire, comme c'est le cas avec l'ADN. Une vingtaine d'essais
cliniques portant sur l'excès de cholestérol, le diabète, l'hépatite ou le
cancer, sont en cours. Tous ont en commun l'injection intraveineuse de siRNA
encapsulés dans des nanoparticules lipidiques.
Cheval de Troie
D'autres nanoparticules à base de polymères sont en cours de développement.
Tels des chevaux de Troie, elles se laissent phagocyter par les cellules et ne
libèrent les siRNA qu'à l'intérieur. Une dernière voie de recherche, qui
n'était pas envisageable avec des gènes pour cause de taille excessive,
consiste à lier chimiquement le siRNA à son transporteur, revenant ainsi à des
médicaments moléculaires proches des médicaments classiques.
La chimie de synthèse a été le mode de développement et de production
essentiel de la pharmacopée du XXe siècle. L'arrivée des médicaments issus
des biotechnologies a semblé signifier la fin de cette ère. Après les
anticorps, le tome II de la saga des biomédicaments, dédié à l'ARN
interférence, verra le retour de la chimie de formulation sur le devant de la
scène: l'adage «il n'y a pas de médicament sans chimie» se conjugue au passé,
au présent et au futur.