vendredi 30 mars 2012

chimpanzés policiers





Les chimpanzés aussi font la police

La police n'est pas le propre de l'homme. De nombreuses autres espèces animales ont leurs gardiens de la paix, notamment nos cousins les grands singes. Des actions de maintien de l'ordre ont ainsi été rapportées chez les chimpanzés, les bonobos, les gorilles des montagnes et les orangs-outans, mais aussi chez des singes plus petits comme certaines espèces de babouins et de macaques. Maintenir l'ordre est un enjeu crucial pour la stabilité des groupes sociaux dans lesquels vivent ces animaux et par "faire la police", les éthologues entendent "intervenir de manière impartiale" (c'est-à-dire sans favoriser personne) dans un conflit entre plusieurs protagonistes. Un comportement d'un grand intérêt pour les chercheurs parce qu'il pourrait indiquer un germe de sens moral poussant certains individus à jouer un rôle de médiateur non pas pour en tirer forcément de bénéfice personnel – au contraire, il y a une prise de risque physique certaine à séparer des congénères qui se querellent – mais pour le bien collectif, pour conserver la cohésion de la société.
Encore faut-il en être sûr. Bien que souvent décrit, le maintien de l'ordre chez les grands singes n'a pas été étudié en profondeur et il existe d'autres hypothèses que celles du policier qui intervient uniquement pour restaurer la paix sociale. Des raisons moins altruistes pourraient engendrer un tel comportement, comme ce que l'on voit chez le daim, par exemple, ou les mâles dominants interviennent lors de combats entre autres mâles, ce afin de contrôler l'ascension sociale de futurs rivaux potentiels. Dans ce cas, les "actions de police" n'ont lieu qu'entre mâles. Autre possibilité, que les mâles dominants règlent les conflits entre femelles, notamment avec les nouvelles venues dans le groupe, dans le but d'assurer en quelque sorte la paix dans le harem et de préserver un potentiel reproductif important. Dernière hypothèse : l'intervention d'individus plutôt classés dans le bas de l'échelle sociale qui risqueraient d'être les premières victimes si le conflit dégénérait et s'étendait à tout le groupe.
Pour trancher parmi toutes ces hypothèses, une équipe européenne emmenée par des chercheurs suisses a mené une étude au long cours sur un groupe de chimpanzés du zoo de Gossau, qui a été publiée, le 7 mars, par PLoS ONE. Cette petite communauté de singes a été observée pendant près de 600 heures réparties sur plus d'un an et demi. Au cours de cette période, le groupe a subi plusieurs bouleversements (introduction de trois nouvelles femelles, mâle dominant – dit alpha – détrôné par le mâle bêta), autant d'épisodes de fragilisation de la structure sociale censés entraîner une recrudescence des conflits et, par la même occasion, des interventions des "forces de l'ordre" moins rares qu'à l'ordinaire. Les chimpanzés étant assez querelleurs, 438 conflits ont été recensés et 69 d'entre eux ont donné lieu à une médiation (soit un taux d'intervention de 15,75 %). A chaque fois, la police a été faite par l'un des deux mâles dominants, voire par les deux ensemble dans 8 cas. Les chercheurs ont répertorié trois tactiques principales : la première, plutôt passive, consistait pour le "policier" à s'approcher suffisamment près de la scène pour mettre fin au conflit par sa seule présence, la deuxième à menacer simultanément les deux protagonistes et la troisième à s'interposer physiquement entre les adversaires du moment. Sur les 69 interventions, 60 ont été couronnées de succès, en mettant fin au conflit. Une efficacité élevée qui est montée à 100 % dans les 8 cas où les deux mâles (nommés Ces et Dig, et non pas Starsky et Hutch) ont agi de concert.
Même si ces résultats étaient intéressants, ils ne satisfaisaient pas complètement les chercheurs notamment pour deux raisons : d'une part ils ne permettaient pas de trancher entre les hypothèses mais, en plus de cela, il était curieux de ne pas voir les femelles s'investir dans l'action policière alors qu'elles étaient à la fois en bonne position dans la hiérarchie sociale et d'un gabarit respectable. "Nous pensons, écrivent les auteurs de l'étude, que cela pourrait s'expliquer par le fait qu'en tant que nouvelles venues, elles n'étaient pas encore complètement acceptées par les autres et que, par conséquent, elles ne détenaient pas le pouvoir social nécessaire pour intervenir. Ou bien il se peut que ces immigrées ait manqué de motivation pour maintenir l'ordre, si elles ne considéraient pas encore le groupe comme le leur. Un autre facteur limitant peut être le fait que ces femelles sont tombées enceintes rapidement après leur arrivée et qu'elles portaient des bébés vulnérables." Je cite ce long passage à dessein pour montrer avec quelle facilité ces éthologues se mettent à la place des singes et leur prêtent des motivations complexes que d'aucuns jugeront sans doute très (ou trop) humaines.
Pour compléter leurs données, ces chercheurs ont donc demandé à trois autres zoos européens leurs observations sur les chimpanzés policiers. Des observations qui ont confirmé leurs soupçons : dans tous les autres cas, mâles et femelles de haut rang se partageaient le maintien de l'ordre. Un comportement qui trahit une préoccupation véritable pour la stabilité du groupe. Peut-être s'agit-il avant tout, pour les individus situés en haut de l'échelle sociale, de conserver leur statut à travers la paix de la communauté, une sorte de bénéfice personnel indirect. Ou peut-être faire la police constitue-t-il un de ces comportements altruistes bien ancré chez les grands singes (dont les hommes font partie) et qui participent à l'amélioration de la vie en collectivité : un comportement motivé par un intérêt véritable des individus pour la résolution des conflits des autres, qui pourrait être considéré, ainsi que le disent les auteurs de l'étude, "comme un précurseur de la moralité humaine"...
Pierre Barthélémy

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