vendredi 23 mars 2012

médocs du futur


La révolution des médicaments du futur

Par Jean-Paul Behr - le 16/03/2012
Jean-Paul Behr, chimiste, membre de l'académie des sciences fait le point sur la chimie de formulation, qui permettra des avancées majeures en terme de santé.

La chimie des petits ARN interférents (siRNA en anglais, est aujourd'hui au point : ils sont jusqu'à 100 fois plus stables dans l'organisme que leur version naturelle et il est possible d'en synthétiser de grandes quantités.
Il est des Nobel plus nobles que d'autres. Celui de médecine 2006, décerné à Andrew Fire et Craig Mello, a secoué les fondations de la biologie. Leurs travaux ont révélé qu'une grande partie de notre ADN est en fait copiée en de petites molécules d'ARN (acide ribonucléique) fugaces qui harmonisent toutes les étapes du fonctionnement d'une cellule, depuis l'embryogénèse jusqu'à la mort: l'ARN interférence. Cette découverte majeure, qui ouvre la perspective d'agir sur n'importe quelle voie métabolique soulève d'immenses espoirs pour la recherche biomédicale.
Le premier défi qui se présentait aux chimistes consistait à prolonger la survie de cette molécule intrinsèquement instable dans l'organisme afin qu'elle puisse jouer son rôle de médicament. Pour cela, ils ont commencé par «verrouiller» les atomes d'oxygène de l'ARN responsables de sa grande fragilité. Puis ils ont protégé ses extrémités afin de ralentir son excrétion par les reins.
La chimie des petits ARN interférents (siRNA en anglais, pour small interfering RNA) est aujourd'hui au point: ils sont jusqu'à 100 fois plus stables dans l'organisme que leur version naturelle et il est possible d'en synthétiser de grandes quantités. Plusieurs entreprises conduisent des essais cliniques dans des conditions où le siRNA reste confiné dans un organe clos. Opko et Quark par exemple ont choisi de s'attaquer à des pathologies oculaires, comme la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA).
Mais le plus grand défi consiste à faire pénétrer ces ARN interférents dans les cellules humaines, pratiquement imperméables à de telles molécules. Pour ce faire, les sociétés nord-américaines Alnylam et Tekmira font appel à des vecteurs chimiques. Ces derniers bénéficient de l'expérience acquise après deux décennies de recherche en thérapie génique, et de quelques avantages particuliers. Un siRNA étant cent fois plus petit qu'un gène, il est d'autant plus facile à transporter. Il n'a pas non plus besoin d'être acheminé jusque dans le noyau cellulaire, comme c'est le cas avec l'ADN. Une vingtaine d'essais cliniques portant sur l'excès de cholestérol, le diabète, l'hépatite ou le cancer, sont en cours. Tous ont en commun l'injection intraveineuse de siRNA encapsulés dans des nanoparticules lipidiques.

Cheval de Troie

D'autres nanoparticules à base de polymères sont en cours de développement. Tels des chevaux de Troie, elles se laissent phagocyter par les cellules et ne libèrent les siRNA qu'à l'intérieur. Une dernière voie de recherche, qui n'était pas envisageable avec des gènes pour cause de taille excessive, consiste à lier chimiquement le siRNA à son transporteur, revenant ainsi à des médicaments moléculaires proches des médicaments classiques.
La chimie de synthèse a été le mode de développement et de production essentiel de la pharmacopée du XXe siècle. L'arrivée des médicaments issus des biotechnologies a semblé signifier la fin de cette ère. Après les anticorps, le tome II de la saga des biomédicaments, dédié à l'ARN interférence, verra le retour de la chimie de formulation sur le devant de la scène: l'adage «il n'y a pas de médicament sans chimie» se conjugue au passé, au présent et au futur.

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