Serions-nous victimes de notre langue?
Par NathalieMB (Express
Yourself), publié le 12/04/2012 à 11:00, mis à jour à 15:14
Les Français victimes de leur langue
dépressive? Une théorie osée de Nathalie Monsaint-Baudry.
REUTERS
L'essayiste Nathalie Monsaint-Baudry, qui a une double culture
franco-américaine, estime que notre langue française abuse des tournures
passives, faisant de tous les francophones des déprimés potentiels! Qu'en
pensez-vous?
Bon courage ou enjoy ? En Amérique, il est très rare d'entendre les gens se plaindre. De retour en France, c'est le rituel du "Bon courage !" qui interpelle quotidiennement. Expression pour le moins surprenante. De quel courage parlons-nous ? Je n'allais pas au front à la guerre que je sache ! L'équivalent américain dans le même contexte étant : Enjoy ! ou bien Have a good one, c'est-à-dire, prenez du plaisir à ce que vous allez faire. Question de perspective.
Un Français d'Amérique s'auto-censure. Bien placé pour le savoir, il ne lui viendrait pas à l'esprit de souhaiter à l'employé du supermarché good luck... Indicible, intraduisible. Good luck for what ? Do I look that bad ?
À force de nous miner le moral avec des je te l'avais bien dit ! Comme par hasard ! C'était mal parti. On n'est pas rendus. De toutes façons... fallait s'en douter. C'eût été étonnant. Fallait que ça tombe (encore) sur nous. Au train où vont les choses. Comme d'habitude. Pour qui tu te prends d'abord ? C'est toujours la même chose. Il l'a pas volé. C'est pas à nous que ça arriverait. Comme de bien entendu. De toute façon, faut pas se faire d'illusion. Comme il se doit. J'aurais dû le savoir. C'était tout vu d'avance. J'aurais dû me méfier. Et encore, c'est que l'début ! Je crains le pire... Comment ne pas déprimer avec une langue qui déprime "à elle toute seule" ? Chaque phrase est ponctuée de locutions laissant un goût d'amertume, de regret, de ronchonnerie, de rabat-joie, vous en savez quelque chose, non ? Quoiqu'on dise, quoiqu'on fasse. Ne m'en parlez pas... c'est surtout pas à moi qu'il faut dire ça !
C'est une malédiction. Vestiges des anciens dieux romains ? Païens? Superstitions ? Paysannerie, famines, disettes, fatum ? Sapir et Whorf déjà... qui de l'oeuf ou de la poule ? Infusion de notre culture et de la langue... Personne n'y échappe. Que voulez-vous que je vous dise ! Que voulez-vous que j'y fasse ? Y-a pas moyen de s'en sortir. Je vous l'avais bien dit ! Dans quoi vous vous êtes lancés encore ? Et encore, ça n'est que le début ! Vous allez voir ce que vous allez voir ! Vous n'êtes pas au bout de vos surprises... Le pire reste à venir... Et encore, je ne vous dis pas tout !
Là où l'anglais dira : I am not going to lose sleep over this, le français/Français optera pour : ça va pas m'empêcher de dormir. Qui est le sujet du verbe ? Qui fait quoi ? C'est plus fort que nous... really?
Si c'est de la faute de la langue, déclarons alors une guerre quotidienne à nos expressions dépressives. Reprenons-nous, il est grand temps ! Choisissons la voie active, fuyons le passif, préférons le temps de la certitude, l'indicatif présent, voire l'impératif, décidons qu'aujourd'hui sera une bonne journée ! Arrêtons la plainte collective, embrassons la certitude. Mettons un stop à ce sport national... Vous êtes prévenus maintenant, faudra pas venir vous plaindre, y'a pas d'raison d'abord...
Nathalie Monsaint-Baudry, Être Française et Américaine, l'interculturalité vécue, un livre téléchargeable gratuitement depuis http://www.monsaintbaudry.fret http://www.pbaudry.com
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