mercredi 4 juillet 2012

Le loup et l’agneau

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Le loup et l’agneau: cohabitation impossible?

L'été. Pour les moutons: le temps des alpages. Pour les bergers: celui de la peur du loup. Et pour la petite ville de Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence), une grande première: la création, le 19 juin, d’un groupe de travail franco-italien sur la question lupine.  Groupe qui, précise ses fondateurs, "pourra être élargi à des participants d’autres pays européens, et aura pour objectif de contribuer à la rédaction d’une directive européenne sur le pastoralisme".

Un prédateur redoutablement intelligent
A l'issue de cette réunion, une liste de doléances a été établie et signée par tous les participants,  qui sera adressée aux parlementaires et pouvoirs politiques. Parmi elles:
-"Une régulation efficace et sérieuse ne mettant pas en danger l’espèce et se substituant pour la France aux actuels prélèvements, tout en reconnaissant aux travailleurs de la terre le rôle fondamental d’un pastoralisme dont les Alpes ont besoin.
- Une demande de révision de la Convention de Berne, pleinement justifiée et raisonnable, comme la Suisse en a engagé déjà le processus".
Barcelonnette, 2800 habitants environ, est située en plein coeur de la vallée de l'Ubaye.

Une région où quand on ne parle du loup, on y pense quand même.  S'étendant du barrage de Serre-Ponçon à la frontière italienne, elle héberge environ 80 exploitations spécialisées dans l’élevage ovin traditionnel. Or, celles-ci ont subi en juillet 2011 deux attaques particulièrement sanglantes de la part du grand prédateur.
En 1992, lorsque le loup réapparaît naturellement en France depuis les Alpes italiennes, les mouvements écologistes avaient salué son retour avec ferveur. Personne, semble-t-il, n'avait prévu  que les représentants de l'espèce, qui se comptaient à l'époque sur les doigts d'une main, seraient aujourd'hui près de 200 en France. Ni qu'ils viendraient fragiliser à l'extrême une agriculture pastorale déjà bien malmenée.
Selon le recensement officiel, il n'y aurait, dans les Alpes-de-Haute-Provence,  que 18 à 22 loups adultes, soit à peine plus de 10 % des 180 adultes officiellement recensés dans le pays. Mais Yves Derbez, éleveur d'ovins à Méolans-Revel, garde en tête un autre pourcentage: durant cette fameuse nuit du 15 au 16 juillet dernier,  il a perdu 44 bêtes, soit 20 % de ses agneaux label rouge. Président de l’association Eleveurs et Montagnes et membre du Comité national Loup, c'est désormais avec l'énergie du désespoir qu'il se bat "pour libérer le pastoralisme des contraintes de la prédation". Comme les collègues italiens qu'il a rencontré à Barcelonnette, il dénonce avec vigueur les allégations selon lesquelles "les éleveurs sont largement indemnisés des dégâts du loup". Et réclame, simplement, qu'on respecte son métier.
Pierre Martin-Charpenel, lui aussi, a participé, mardi, à la réunion franco-italienne. Président de la jeune association Le loup et les Indignés de l’Ubaye, nous l'avions rencontré dans la vallée à l'automne dernier. L'homme, revenu prendre sa retraite près de la ferme que son grand-père avait autrefois quittée, nous avait alors précisé sa démarche:
"Notre association ne pose pas la question du loup au niveau de l’environnement, elle la pose au niveau humain.  Pour l’économie et pour le maintien de notre paysage, on a besoin du pastoralisme. Et on demande de justes mesures pour qu’une profession ancestrale qui a du mal à survivre ne soit pas maltraitée jusqu’à disparaître".

Camarades des alpages...
Aujourd'hui, il ajoute:
"Depuis début juin, onze brebis ont a nouveau été tuées au col de Larche, à la frontière italienne. Mais c'est dans les Alpes-Maritimes, où les bêtes restent aux alpages toute l'année, que le bilan est le plus lourd: 436 bêtes perdues depuis le 1er janvier!". Pierre Martin-Charpenel en est pourtant convaincu: "Si l’on y prête attention, il n’y a aucune raison pour que les écologistes et les lieutenants de louvèterie ne parviennent pas à s’entendre pour préserver à la fois l'espèce lupine et l'activité des bergers".
Tel n'est pas, à l'évidence, l'opinion de l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas).  Le 19 juin, celle-ci a annoncé qu'elle déposait une plainte auprès de la Commission européenne contre l'Etat français, suite à la publication par le gouvernement Fillon d'une nouvelle règlementation "encore plus permissive" en matière de destruction des loups, "signée le lendemain du deuxième tour des élections présidentielles".
En effet, selon un arrêté du 7 mai publié trois jours plus tard au Journal officiel, le nombre maximal de loups dont la destruction est autorisée en application de l'ensemble des dérogations préfectorales est fixée à onze pour la période 2012-2013. A compter de la date éventuelle à laquelle huit spécimens auront été détruits "dans le cadre des dérogations accordées par les préfets, ou du fait d'actes de destruction volontaires", les tirs de prélèvement seront interdits. En revanche, les tirs de défense effectués par les éleveurs  continueront d'être autorisés - ce que dénonce l'Aspas.
Ce n'est pas non plus ce que demandent les bergers, qui considèrent que c'est aux chasseurs d'assurer ce type de protection.
Parviendrons-nous un jour à inventer la cohabitation entre le loup et l'agneau? Et si oui, comment?
Catherine Vincent (Service Planète)


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